Adjani dans Marie Stuart : si peu de cinéma au théâtre...
Isabelle Adjani dans "Adèle H"
En me levant ce matin, la perspective daller écouter les deux heures qui ont précédé la mort de Marie Stuart, ma consternée Pourquoi avoir acheté cette place de théâtre quand pendant dix jours lexcès de promo men a dit et montré plus sur la pièce et son interprète principale que je nen entendrai ou verrai moi-même en étant assise à quelques brasses de la scène Va-t-on voir une pièce de théâtre où joue Isabelle Adjani avec la même démarche que pour une autre ? Non, on va observer le phénomène, étant avertie que lactrice qui prend déjà toute la place sur la couverture des magazines dans la semaine qui précède la première, sans parler des critiques toutes identiques dans les quotidiens, en prendra au moins autant sur scène où les autres comédiens seront invisibles Ainsi pour « La Dame aux camélias » il y a quelques années, je nai pas le moindre souvenir de lacteur qui jouait Armand Duval, quant aux autres En revanche, le procès intenté à lactrice quelle aurait fait enlever les quatre premiers rangs dorchestre à lépoque, fait encore lactualité, quand je suis persuadée, par dessus le marché, que cest inexact Pire, je me souviens de lentracte de Marguerite Gautier, au bar où les conversations portaient uniquement sur létat civil dIsabelle Adjani comparé à lâge quelle « faisait » et avait-elle eu recours à la chirurgie esthétique ou était-ce une injustice que cette provocation déternelle jeunesse pour laquelle daucuns se seraient bien approprié la recette miracle tout en la clouant au piloris
Autant que ces deux heures dagonie de Marie Stuart, par un samedi après-midi ensoleillé, lanticipation de cette rituelle mise à mort de la star par un public aussi indulgent que les 800 invités conviés à la décapitation de la reine déchue dans la pièce, me rebutait au point de ne pas y aller
Je réfléchissais au moyen de donner ma place à un tiers quand je me suis demandé pourquoi cette actrice suscitait tant de haine, cristallisant sur son personnage public un degré dattraction-répulsion, quon observe à peu près vis à vis de tous les nouveaux dieux païens dites les stars, mais rarement atteint par une célébrité en France sauf peut-être par Alain Delon. Me viendrait-il à lidée de me demander si Catherine Frot ou Karin Viard « font » plus jeune que leur âge que par ailleurs jignore et dont je me contrefiche? Catherine Frot qui dit très pertinemment dans une interview cette semaine que nétant pas considérée comme jolie, elle na eu aucun mal avec son âge, ayant commencé vraiment à percer à 38 ans. Gainsbourg disait que la vieillesse est la revanche des laids
mais lexplication est incomplète
Ce qui a condamné Isabelle Adjani à ce quon ne se préoccupe que du personnage au détriment de lartiste, ce nest pas tant sa beauté ou son comportement, cest ce flux ultra-narcissique quelle a toujours dégagé depuis ses débuts, qui a submergé un public pris en otage dans un insupportable système dimages inaccessibles, par ailleurs soumises à un hypercontrôle tout puissant, le renvoyant à sa propre impuissance et sa frustration dexister sans retouches sur photoshop, sans le moindre espoir d'indentification possible avec la star, un public qui na jamais raté une occasion de le lui faire payer ensuite. Quelques phrases de la pièce résonnent en écho "des gens ont fait courir sur moi des rumeurs... tout ce qu'on a colporté sur moi m'a tuée..."...
Isabelle Adjani dans "Mortelle randonnée"
Et aujourdhui ? Les choses ont changé, un peu Le public de la pièce au théâtre Marigny, par ailleurs pas complet, ce qui ma étonnée, était une assistance dinconditionnels quasi fanatisés qui seraient allés écouter Adjani réciter lannuaire téléphonique comme dautres attendent les apparitions de Mylène Farmer sortant de chez elle Une longue ovation à suivi la représentation où votre rédacteur sest copieusement ennuyé à se demander si je nétait pas atteinte de paralysie de la sensibilité quand on applaudissait à tout rompre autour de moi en criant « bravo » ! De la pièce Marie Stuart, je garde le souvenir dune sorte de tour de chant parlé avec une seule et interminable chanson : un immense monologue interrompu de temps en temps par la brève intervention dautres comédiens et quel étonnement quand la troupe vient saluer de compter quils sont en vérité douze pour si peu de texte Deux heures sans entracte dune longue plainte de la reine Marie Stuart, la Papiste, condamnée à mort par sa cousine Elisabeth, la batarde, fille dHenri VIII et Ann Boleyn. Le texte étant dune grande fadeur, on se reporte sur la musicalité de la voix qui psalmodie essentiellement plaintes et regrets Lexact contraire dune douleur muette avec quelques accès de colère bienvenus qui réveillent et le spectateur et le tempérament de feu dIsabelle Adjani qui a toujours excellé dans lexcès et aussi quelques moment de panache bien sentis mais bien rares... Pour les trois quarts de la pièce, lactrice est posée au bord de la scène, les yeux levés vers le ciel Le décor est minimal avec des panneaux de bois rouge sang tâchés de noir et la charrette du bourreau, sa grande hache dont on parlera encore et encore La bonne idée de mise en scène racontée par le menu par la presse (ce qui ôte leffet de surprise) cest que Marie Stuart commence la pièce dans une pauvre chemise tâchée, cheveux gras et gris et la termine, pour poser sa tête sur le billot, parée comme une reine, en longue robe de soie blanche piquée de brillants, bijoux, diadème, perruque, maquillage et rouge à lèvres argenté.
On sort du théâtre en se disant que cest sûrement une bonne thérapie pour la comédienne que ce come-back à entendre tous ces applaudissements sincères mais 70 Euros pour cette chaise dure, les genoux serrés pire que sur Air France, un silence de cathédrale privant de tourner une page sans faire de bruit, cest ingrat Et dire quil y a une seconde représentation le samedi, quà peine rentrée dans sa loge, Isabelle Adjani va devoir retourner sur scène dans les deux heures pour réciter la même chose et quen sendormant le soir, elle sait quelle doit y retourner le lendemain et dire qu'il y a des pièces quon joue pendant des années Je ne métais jamais rendu compte de la dureté de ce métier de comédien Mystère du théâtre
Isabelle Adjani dans "Possession"