Les Ailes de la colombe + Corps et biens : 2 films années 80 de la rétrospective Benoit Jacquot

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Benoit Jacquot option Dominique Sanda*

Profitant de la rétrospective de l’intégrale des films de Benoit Jacquot à la Cinémathèque, je suis allée (re)voir deux films parmi ses premiers, «Les Ailes de la colombe» (1981) et «Corps et biens» (1986)… Disons-le honnêtement, ces films ont pris un drôle de coup de vieux sans pourtant être passés dans les classiques… L’intérêt majeur de ses films est double : d’abord, la présence de l’intemporelle Dominique Sanda… Ensuite, à les regarder aujourd’hui, on se rend compte que la période intimiste du réalisateur démarrée avec «La Désenchantée» dont il dit lui-même qu’il est né une seconde fois avec ce film, n’est pas si détachée que ça des films précédents… On trouve déjà de façon embryonnaire dans «Les Ailes de la colombe», et un peu moins dans «Corps et biens», ce qui intéresse BJ : la géographie du visage de la femme, les émotions qui le sculptent, le corps filmé comme un tableau, cette manière de désensualiser les femmes à les observer de trop près, à la loupe… Dominique Sanda est beaucoup plus sexy dans un manteau noir et hauts talons, les cheveux coiffés à la Veronica Lake ou relevés en chignon qu’entièrement nue sur son lit. Ces plans de fesses bronzées satinées de profil, d’elle ou une autre, comme on en voit à l’identique encore dans son dernier film «L’Intouchable» avec Isild Le Besco, sont le péché mignon du réalisateur. La grande différence tient au choix de l’égérie : la Sanda est une femme fatale, regard bleu marine, port de reine, allure de star, irremplaçable… Chez BJ, c’est l’actrice qui fait le rôle et pas le contraire et cela bien avant Judith Godrèche dans «La Désenchantée» ou Virginie Ledoyen dans "La Fille seule"…


"Les Ailes de la Colombe" (1981)

C’est le type même de l’adaptation littéraire au cinéma : ici, il s’agit d’un roman d’Henry James se passant dans un Venise esthétique avec des personnages éthérés jouant de façon décalée. Une prostituée de luxe, Catherine (Dominique Sanda), organise un plan machiavélique qui va se retourner contre elle. Ayant repéré dans un palace vénitien où elle opère une riche héritière atteinte d’une maladie mortelle, elle pousse son fiancé à la séduire et l’épouser pour partager avec lui son héritage après sa mort.

Cette histoire ne nous touche absolument pas : la maladie de Marie (Isabelle Huppert) est occultée à dessein, une phrase entre deux portes dans le genre «elle est intransportable»… La séduction de Marie par Sandro n’est pas davantage développée… Que reste-t-il alors ? Le portrait de Catherine/Dominique Sanda, aventurière sans illusions sur elle-même, qui semble développer à l’égard de Marie/Isabelle Huppert une attirance plus trouble qu’il n’y paraît, ignorant à priori sa maladie… Des scènes mordorées comme cette arrivée en gondole la nuit de la Sanda vêtue d’une robe longue rose dans un somptueux palais où on donne une fête… Isabelle Huppert dans un rôle de petite fille fiévreuse virginale à nattes est étonnante avec une façon de dire son texte extrêmement affectée… Sandro est un personnage incolore, l’intrigue est ailleurs dans ce couple de femmes aux antipodes l’une de l’autre qui s’attirent comme des contraires, mais cette dimension est très peu développée. On nous focalise sur le fade Sandro qui cristalliserait les passions de l’une et de l’autre, mais on n'accroche guère... La dernière phrase du film, dite par la Sanda, le sauve, d’une certaine platidude, enfin !


"Corps et biens" (1986)

Un film très atypique tenant de la farce et du drame… Deux vieilles toupies pochardes, habitant des maisons voisines sur la côte d’azur, partagent leur gin, leurs jeux de cartes et leurs gigolos quand l’une d’elle se fait assassiner. La seconde (Danielle Darrieux) décide de la venger… Aucun mystère sur l’assassin, il s’agit d’un ancien gigolo de la trucidée… Par un concours de circonstances, deux sœurs ravissantes sont dans les parages au moment du drame dont l’une (Dominique Sanda), qui habite on ne sait pourquoi dans la villa mitoyenne, va découvrir le cadavre. Les deux sœurs ne le sont qu’à moitié, l’une d’elle (Laura Betti) est l’héritière d’une chaîne de boucherie et entretient sa demi-sœur (Dominique Sanda) qui lui voue en retour une haine passionnée. Rencontrant par hasard l’assassin (Lambert Wilson) et son comparse totalement barge (Jean-Pierre Léaud), la demi-sœur très riche s’en entiche et l’épouse. Tout ce beau monde, les deux sœurs, Lambert Wilson et sa sœur et JP Léaud, va s’installer ensemble dans un hôtel particulier de la capitale. Pendant ce temps, Danielle Darrieux est montée aussi à Paris pour chercher l’assassin de son amie Laura. Pour corser les choses, on ajoute une caricature de psy qui soigne les névroses des uns et des autres. On ajoute aussi l’amant de la sœur pauvre qui préfère la sœur riche quand le mari de la riche préfère la pauvre…

Film déjanté et farfelu, peuplé de psychopathes pathétiques et de farces macabres avec une pétulante et comique Danielle Darrieux qui mène le jeu, les autres acteurs étant plutôt versés dans le show perso chacun de son côté comme JP Léaud même si ses apparitions à l’écran sont toujours savoureuses. On note la présence de l’excellente Sabine Haudepin dans le rôle de la fille de DD tenant la pension de famille un peu comme dans «L’Etoile du nord» aux côtés de Simone Signoret. On suppose que le réalisateur a voulu trouver un pendant masculin à la venimeuse Dominique Sanda avec un Lambert Wilson jeune aux regards hallucinés, un couple de névrosés cruels au physique flamboyant qui se trouvent et se perdent, seuls à peu près crédibles dans un univers loufoque… Le film est une curiosité où on ne sait jamais si il faut rire ou pleurer et où on convient rapidement de rester extérieur à ce qui se passe…



Les points communs entre les deux films : la neutralité émotionnelle, ces émotions blanches, ces personnages trop beaux, désincarnés bien que souvent dénudés… Second point commun : la femme de Pique incarnée par la Sanda, calculatrice et sans scrupules, un hommage à la femme fatale… Troisième point commun : l’insertion des plans des visages de femmes dévastés par les émotions, Huppert, Sanda, Wilson (ambigu). C’est un cinéma qui se cherche, revus avec le recul, on saisit surtout dans ces deux films l’essence de la suite de l’œuvre de BJ, c’est peut-être un poncif mais les films français des années 80 ont du mal à passer le millénaire, ni classiques ni modernes, au contraire de ceux précurseurs indémodables du Nouvel Hollywood. Les surlendemains de la Nouvelle vague en France ont un côté laborieux, artisanal, s’en relèvera-t-on un jour, on se le demande…

* Benoit Jacquot a tourné trois films avec Dominique Sanda "Les Ailes de la colombe"(1981), "Corps et biens" (1986) et "Les Mendiants" (1987)

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Publié dans CINECULTE1980

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