"Changement d'adresse"

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Emmanuel Mouret et Fanny Valette. Shellac


Un grand cornichon avec la tête de Fernandel et son accent méridional, et aussi quelque chose de l'expressivité de Jacques Brel, c'est le nouvel anti-héros de ce "Changement d'adresse" tellement désuet qu'il en devient intemporel : l'intemporalité Rohmer : d'un bout à l'autre du film, on est renvoyé à l'univers de Rohmer : les personnages si convenables, les bavardages intempestifs, l'auto-analyse permanente des personnages qui se racontent, se confiant à des copains ou de simples connaissances comme s'ils parlaient d'eux à leur analyste, décortiquant leurs sentiments, leurs sensations, leurs souvenirs, leurs émois, leurs déceptions, etc...

Le jeu des acteurs est très Rohmérien avec cette impression d'amateurisme à la veille de jouer faux, ce débit monocorde, cette pesanteur du corps mal dans sa peau. Et le romantisme très littéraire des personnages, cette idée Proustienne de l'amour dans le discours qui supplante la réalité impuissante à égaler l'imaginaire.



David rencontre Anne, blonde platine et touchante (l'actrice et le rôle), et tombe amoureux de Julia qui lui ressemble comme une soeur jumelle, introvertie, timide, coincée. En partant en WE avec David, Julia tombe sur Julien par hasard qui, lui, ressemble à Anne, extraverti, solaire, vivant, séducteur. Il faudra que Julia choisisse de plaquer David pour Julien pour que David accepte d'aimer Anne et, ainsi, les contraires seront rassemblés, chacun des coincés ayant été attiré par la lumière.

Bien qu'ils irradient de séduction, Anne et Julien sont des fragiles faux futiles qui donnent le change, sans doute plus désespérés sous leur art de la joie de vivre ostentatoire que David et Julia qui ont l'habitude de s'écouter souffrir. Elle se persuade qu'elle aime son travail et ses photocopies, elle se réjouit de faire fonctionner une nouvelle machine, elle s'invente un amour fou avec un client prénommé Gabriel, comme l'archange.. (Julia)... Il frime qu'il possède deux restos chics, on le retrouve en blouse grise à réparer des téléphones publics, il n'est même pas révolté (Julien)...

En allant poser une affichette pour chercher un appartement à louer, David rencontre Anne, une jolie blonde, un peu paumée, qui lui fait le plan de chercher un colocataire pour un ami, c'est d'elle-même qu'il s'agit. La cohabitation s'organise comme une vie de couple. Musicien, il joue du cor, ce qui donne le loisir du jeu de mot cor/corps, le cor étant carrément le prolongement symbolique du corps. En allant donner une leçon à Julia, il tombe amoureux de son élève et le rapporte à Anne qui lui renvoie en échange l'amoureux fantôme dont elle s'est entichée dans son magasin de photocopies.

Julia et le client deviennent le prétexte à des confidences de plus en plus intimes entre les deux colocataires jusqu'à partager le même lit dans un moment d'égarement... Les deux intéressés nient l'évidence, ils se se sont rapprochés en parlant des autres... "on ne va pas s'en vouloir parce qu'on a trop pensé à eux..." conclut Anne.
Savoureuse scène où David débarque dans la salle de bains s'épancher auprès d'Anne, nue dans un bain moussant, et laisse ensuite tomber une cuiller au fond de la baignoire qu'il ramasse sans se gêner et sans pertuber non plus la baigneuse.

Un nuage de légèreté nimbe le film sur fond de musique classique qui s'affiche lui-même comme "une fantaisie" juxtaposant les scènes et les répliques comme des mouvements musicaux. On est souvent à deux doigts de basculer dans le ridicule ou l'affectation mais un humour salvateur et une intelligence dans le dosage des dialogues et des effets ramène le film à une sorte de point d'équilibre précaire qu'il conservera de bout en bout jusqu'à la réussite de l'ensemble. Le procédé (utilisé rituellement dans le film) qui consiste à montrer une scène, puis un plan d'un personnage disant à un interlocuteur qu'il va lui raconter l'évènement, puis couper le son et, très vite l'image, pour revenir au final sur un plan du regard étonné de celui qui vient d'apprendre tout ça, est particulièrement astucieux et "allégeant" pour la patience et les neurones du spectateur.

Le choix des acteurs : Frédérique Bel, connue surtout du public des abonnés de Canal dans "La Minute blonde", et Dany Brillant, le crooner grand public, dans les rôles des deux extravertis, elle en robe moulante et collants colorés et lui en blouson de cuir noir et voiture de sport, face aux deux coincés, plus vêtus couleur muraille qu'habillés véritablement, est excellent.

Présenté dans la section "La Quinzaine des réalisateurs" du festival de Cannes, ce film est de la même généalogie Nouvelle Vague que "Dans Paris" (dans "La Quinzaine des réalisateurs" aussi) qui, lui, penche beaucoup plus nettement vers Truffaut et Demy qu'EM bien davantage vers Rohmer... Bien qu'on retrouve dans les deux films exactement la même scène de lecture le soir dans un grand lit d'un couple, avec chacun son livre, de "Domicile conjugal" (bienvenue au club car la liste est longue de la recopie de cette scène...) On attendrait presque que JP Léaud dise à Claude Jade "je te le dirai demain, sinon, ça t'empêchera de dormir..."
La grande différence entre ces deux films qu'on est obligé de comparer, c'est que "Changement d'adresse" est délicieusement démodé et savoureux à déguster comme un macaron à la rose de Ladurée trempé dans une flute de champagne, tandis que "Dans Paris" est lugubre, asphyxié et surjoué (lire ma critique sur le film...)

Pour ce "Changement d'adresse" pas de problèmes, on suit comme le courrier...



Mini-Pitch : fantaisie Rohmerienne pour quatuor avec Anne qui aime David qui aime Julia qui aime Julien et les deux couples sortants sont les autres...


MMAD : cette heure et demi blonde, ça m'a (chat) botté...


Publié dans Films 2006

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V
Je trouve votre site hyper génial, je vous souhaite pleins de succès car vous le méritez, bonne continuation et encore bravo pour ce superbe site !
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K
FVjDOvBcRKhuedmaExtremely helpful article, pelsae write more.
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M
ce film est interessant jai trouvé;je l'ai regardé avec ma classe il y a peu de temps;
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