"L'ANNEE DU DRAGON" : A La recherche du Vietnam perdu

Peu avant de revoir "L'Année du dragon", j'avais vu "La Porte du paradis" de Michael Cimino, et j'en avais retiré la même impression d'avoir vu un grand film à qui il manquait quelque chose... Michael Cimino aime démarrer ses films par une scène avec une multitude de figurants, c'est ainsi que commence "L'Année du dragon" : pendant qu'on fête le nouvel an chinois à Chinatown, quartier chinois de NY, tandis qu'un vieil homme déjeune dans un café modeste, deux jeunes tueurs en veste de satin rouge font irruption pour le poignarder. Aussitôt , on enchaîne sur l'enterrement du vieil homme qui était autre que Jackie Wong, le parrain de la mafia chinoise de NY, un grand portrait hissé par un cortège de costumes blancs et de lunettes noires portant le cercueil, en témoigne. Une jeune femme asiatique, journaliste de télévision, pose des questions au micro en jouant des coudes, une silhouette en pardessus sombre et Borsalino marron se fraye un chemin, Mickey Rourke alias le capitaine Stanley White va à la rencontre de son destin.
Très vite, on trace le portrait de ce flic pas comme les autres : d'origine polonaise (il a changé son nom de Wizynski en White), rescapé du Vietnam (il porte un insigne de l'armée de l'air sur le col de sa veste), on retrouve aussitôt les préoccupations de Michael Cimino : l'immigration comme dans "La Porte du paradis", la difficulté d'exister après le Vietnam du "Voyage au bout de l'enfer".
Mickey Rourke-Stanley White, va vite trouver un adversaire à sa mesure en la personne de Joey Tai (John Lone). Bien que ce dernier soit le gendre du parrain assassiné, Jackie Wong,on le soupçonne d'y être pour quelque chose, d'autant qu'il en a profité pour prendre la place de son oncle à la tête de sa famille.
On saisit immédiatement que le flic Mickey Rourke va semer la mort autant que le caid. Etonnante composition d'acteur avec une sihouette à la Humprey Bogart, regard narquois et harrassé sous le chapeau mou, coiffé d'un brushing démodé, teint en blond aux tempes grises, avec quelque chose d'un Christophen Walken fatigué. Le jeu est décalé, s'adressant à la Mafia, Rourke a un peu la voix de Marlon Brando dans "Le Parrain", dans d'autres scènes, la voix est différente, je ne suis pas persuadée que ça apporte quelque chose de plus.
Lors de la seconde rencontre de Stanley White avec la journaliste, Tracy Tzu, dans immense restaurant sombre appartenant à Joey Tai, deux individus cagoulés ouvrent frénétiquement le feu sur la clientèle. La scène de la fusillade au Shangai Palace est magistralement filmée, tout comme les descentes de police dans les ateliers clandestins, les tripots minables en sous-sol, le tout brossant le portrait d'un Chinatown crépusculaire et sanginaire.
Malheureusement, alors qu'on aimerait une unité de ton et de rythme, certaines scènes semblent n'avoir rien à voir avec le style général du film qui aurait gagné à rester dans le huis-clos de Chinatown. Comme ce petit clin d'oeil à "Apocalypse now" avec une courte séquence dans la jungle thailandaise avec le remake de la tête coupée, scène qui semble posée là au milieu du film comme issue d'une autre film.
Les scènes d'amour de Mickey Rourke-Stanley White avec la journaliste ne sont pas très réussies, on passe d'un plan de Tracy habillée à Tracy nue, comme un exercice de style esthétique qui vise à un effet choc d'images mais nuit à l'ambiance survoltée de la relation.
Il y a donc deux face à face en parallèle, Mickey Rourke face à Joey Tai, Mickey Rourke face à la journaliste chinoise, deux qui n'en font qu'un : Mickey Rourke face à son obsession du Vietnam.
C'est vrai qu'on ne voit que lui : Mickey Rourke : le héros dépressif et narquois, pas vraiment touchant, pas vraiment arrogant, pas vraiment présent, qu'on dirait jamais revenu du front. La scène avec sa femme, Connie, elle en peignoir avachi, lui en vieille veste militaire Kaki usée, illustre bien l'état d'esprit des personnages cassés. La fin du film est peu crédible, dans l'ensemble, le film est un peu décevant mais avec des fulgurances, des grands moments, on se dit que le réalisateur aurait pu faire encore mieux mais c'est déjà très bien.