"To Live and die in LA" (Police Fédérale Los Angeles)/DVD

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Je suis encore sous le choc et le charme aride de ce film splendide de Friedkin que je n’avais jamais vu : «To live and die in LA» traduit en français pas «Police fédérale LA ».

Dès la première scène, on plonge dans cette ambiance sobrement paranoïde dont Friedkin a le secret : une scène qui démarre banalement dans les couloirs d’un hôtel où Richard Chance débarque dire deux mots à un collègue quand soudain, il aperçoit une silhouette furtive… Aussitôt, tout bascule imperceptiblement dans une ambiance viscéralement suspecte, le rétrécissement du couloir, ses murs marron triste qui basculent, les grandes enjambées de Chance qui avance en apnée précédé par la caméra qui le colle avec en contrechamp les couloirs vides, le plateau de petit déjeuner posé par terre dans un coin… aussitôt, on est happé comme broyé par la promesse d’un grand film où on va se vautrer deux heures durant… Sur la terrasse du toit, le son réel des moteurs de l’immeuble, de la ville en contrebas, un jeune kamikaze avec une ceinture de dynamite… Chance à la rescousse de son partenaire suspendu dans le vide…

Je ne suis pas très calée en son mais chez Friedkin, il y a un mixage de sons réels amplifiés qui en deviennent inquiétants et de musique rock obsédante, harcelante, qui vous enferme dans un univers sonore potentiellement dangereux (la BO est du groupe anglais Wang Chung, années 80)…. Les bruits et les supports du quotidien sont utilisés par Friedkin comme des éléments menaçants, les objets quotidiens sont filmés isolément comme des sources d’angoisse, l’univers matériel est en quelque sorte autopsié, passé au scapel d’une observation minutieuse, quasi-obsessionnelle et suspicieuse. L'ambiance de danger transmise par les plans appuyés d’images d’objets quotidiens, non seulement détournés de leur banalité, exploités pour leur pouvoir évocateur décuplé, mais surtout présentés selon une séquence précise amenant à elle seule le drame, m’avait frappée dans «Cruising», film tant décrié (dans la première scène de meurtre, par exemple, voir mon billet sur le film…) Ici, la fascination de Friedkin pour les objets et leurs sons trouvera son point culminant dans une scène de fabrication de faux billets au cœur du récit.

La veille de sa retraite de la police de LA, le partenaire de Chance, est assassiné en allant repérer une fabrique de faux billets qu’il tenait à visiter seul… Richard Chance (William L. Petersen), écœuré, jure de le venger quitte à transgresser la loi. Flanqué d’un nouveau coéquipier timide, Chance va traquer le faux-monnayeur jusqu’à ce que l’obsession de la vengeance prenne le pas sur la logique de sa démarche et l’entraîne dans un comportement aussi kamikaze que le jeune terroriste sur le toit de la première scène avant le générique.

Interprété par un irrésistible Willem Dafoe au sommet de son charisme dans les années 80 (le film est de 1985), Rick Masters, petite frappe perverse et sanguinaire, devient à la fois la proie et l’ombre, le traqué et le traqueur, qui exerce sur son entourage et sur Chance une sorte de fascination ambiguë : présenté comme aimant les femmes, on découvre Rick Masters embrassant le visage d’un homme peint en blanc qui n’est d’autre que le maquillage de scène de sa petite amie, une rousse vénéneuse et saphique, sorte de double féminin. Ce qui intéressant dans cette galerie de personnages, c’est qu’aucun et aucune n’est sympathique, pas même le héros, Chance, borné, bodybuildé , trop bronzé californien… et surtout pas les femmes : la rousse vipère lascive et cupide, compagne de Masters ou la blonde apeurée, décharnée sans illusions, indic et maîtresse de Chance, les deux femmes ayant ce physique dévitalisé des années 80 : cheveux peroxydés, permanentés et abîmés, cuir noir agressif sur poitrine plate (c’était avant la mode du silicone…), mine défoncée, air maladif… Au final, le séducteur, c’est le tueur…

Difficile de raconter ce film où on est davantage à la recherche des sensations que dans le fil de la narration, c’est du grand Friedkin, bien qu’on retrouve une parenté dans les scènes de poursuite (ici, on ne sera pas déçu par une poursuite hallucinante...), dans le tandem de flics, c’est moins clinique que « French connection », plus ambivalent bien que la part d’humanité des personnages soit réduite à la portion congrue. Ce qui est assez inexplicable et totalement bluffant chez ce réalisateur, c’est ce cocktail de matériel déshumanisé et d’humain sans générosité qui conduit à l’exaspération des sensations, comme si il était capable de révéler l’énergie du pessimisme, à revoir les films de Friedkin, on comprend pourquoi il trouve naturellement sa place dans l’Eldorado du nouvel Hollywood des années 70/80.

Sur le supplément (court) du DVD, on peut voir la scène finale alternative que Friedkin a tournée à la demande de la production quand on venait justement de penser qu’il avait eu de courage de garder sa fin à lui, exemptée de happy end lénifiant. Le réalisateur culte dont on racontait qu’il arrivait armé sur le tournage de « L’Exorciste » et malmenait son équipe, a respecté son film… La fin est superbe et suicidaire, d’une violence nette qui sonne comme une claque, prolongée d’un final assez baroque dans une image franchement rougie ou en flammes dont on avait eu un aperçu dans le générique.

Un film à voir et revoir en boucle, le top!

Mini-pitch : Pour venger la mort de son coéquipier, un superflic va traquer un faussaire sanguinaire dans LA et se perdre dans l'obsession de la vengeance. Dans l'esprit de "French connection" revisité années 80, du très grand Friedkin.



Publié dans CINECULTE1980

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V
Il y a justement "Bug" de Friedkin qui sort aujourd'hui en salles, je crois que c'est un film très dur mais on ne peut pas rater ça! Merci pour ton com, ça me réconforte que tu aimes aussi ce film, c'est vraiment du haut de gamme!!! PS. De Friedkin, sur le blog, il y a aussi la critique de "Cruising" avec Al Pacino qui a ensuite renié le rôle.
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M
J'ai vu le fil!m au ciné en 1985 quand personne n'est allé le voir. J'avais 15 ans c'était l'été pas grand chose au programme .... mais le nom de Friedkin m'a évidemment attirée comme toute cinéfile digne de ce nom. Bref ! Une révélation ! To live and die in LA n'a eu aucun succès au fameux box office mais il n'en reste pas moins un méga polar des 80 (la soundtrack des Wang chung allant de pair avec le film ...). Ce film est l'un des films "phare" de ma vie de cinéphile ... je vous laisse le découvrir ... W Defoe se révèle ... W Petersen laisse présager le succès de la série que nous connaissons tous ... mais son abscence pendant près de 20 ans au cinéma est une honte ! Dieu merci il y a Manhunter de Micheal Mann qu'il vous faut absolument découvrir ... Dragon Rouge étant une pâle imitation de l'original
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