"EXILED" ("Exilé") de Johnnie To / Avant-Première
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Wo, tueur à gages retiré des affaires par la force des choses, sest installé à Macao avec son épouse et son fils nouveau né. Mais sa tranquillité va être de courte durée : son ancien boss, Yam, quil a blessé avant son départ de Hong Kong, a envoyé deux tueurs pour lexécuter. Deux autres tueurs sont également sur place pour convaincre leur collègues dépargner Wo, leur compagnon à tous.
Le bois dune porte, un poing cognant sur le bois de la porte, une jeune femme ouvrant peureusement, Wo est absent. On cogne à nouveau, même réponse. Dans la rue déserte dun Macao colonial aux murs peints en vert fatigué, les quatre hommes confrontent leurs points de vue : faut-il tuer Wo comme la ordonné le chef des triades ou le laisser en vie, voire le protéger? Au même moment, le conducteur dune camionnette bleue, chargée jusquau plafond de meubles et deffets, tente de faire profil bas comme sil navait pas remarqué les quatre hommes en bas de chez lui. Wo est de retour. Fusillade n°1, la première dune longue série éclatant à peu près tous les quarts dheure comme une confiserie promise aux spectateurs venus pour voir un film daction. Un tiers sen plaint, téléphonant à monsieur Yam quil se trouve coincé dans son véhicule sous les rafales de balles, jurant passer par là par hasard, il sagit dun policier frileux à 3 jours de la retraite Le caïd, magnanime, fait cesser la tuerie, les quatre compères ramènent alors Wo chez lui. Première incursion de la comédie dans le polar avec le ballet des quatre hommes devenant des gens serviables, transportant les meubles, les installant, tapotant des coussins, épluchant des légumes, faisant la cuisine pour un dîner amical tous ensemble. On se souvient de la photo dautrefois avec les cinq ados quon était, on en profite pour prendre une nouvelle photo de groupe avec lépouse de Wo et le bébé
On sattendait à un polar noir et violent, on a également pour le même prix une parodie de polar, une sorte de western asiatique où quatre Dalton plus un mettent la ville à feu et à sang. Une franche amoralité doublée dune saine bêtise et dun solide sens de lamitié soudent les cinq compères (quatre plus ou moins un semant la discorde comme dans "The Mission", on y retrouve dailleurs les mêmes acteurs). On tire les fusillades à pile ou face. On rêve du prochain coup et de ce quon pourrait bien faire avec tout cet argent : acheter une armurerie pour lun, un bordel pour lautre, en deux mots, on ne serait pas loin de sennuyer
Pendant la première partie du film, léquilibre entre polar et comédie est subtil. Ensuite, la tentation de la comédie est la plus forte bien quon en sorte de temps en temps. La fusillade au superlatif (gunfight) chez le toubib véreux en blouse verte opérant deux patients rivaux en même temps, qui se disputent la place et sentre-tuent, tout en comptant la monnaie, est un grand moment ludique explosant de violence extrême et dhumour dévastateur. La scène deviendra certainement culte, elle est à couper le souffle! Cest ensuite que le film perd en crédibilité en multipliant les loufoqueries bien quon demeure dans du cinéma haut de gamme. Le film pesant son lingot de décibels avec des symphonies de coups de feu sur une musique de western italien, était peu bavard, il le devient, les hommes jacassent, on aurait préféré redistribuer cette logorhée tout le long du film. Mais, surtout, larrivée de lépouse de Wo en Calamity Jane, fusil sous le bras, est un raté, ça ne passe pas.
Sagissant de la photo, on est immergé dans le noir du décor du film noir, sublimes images en noir et ocre, ambiance inspirée des polars américains des années 50 avec une franche touche Melvillienne et une note résolument moderne. Le style Johnnie To est unique : calme avant la tempête, les tempêtes récurrentes, avec des scènes de violence très stylisées, presque chorégraphiées. On y voit des personnages hybrides entre les hommes aux longs manteaux cache poussière d"Il était une fois dans louest" et les guerriers sommeillant en chaque truand, quon voudrait dhonneur, se jeter à corps perdu dans des bagarres assassines mais harmonieuses. En amont, le réalisateur insiste sur les petits gestes très western avant la bagarre : la main dont un doigt tapote nerveusement la cendre de la cigarette, les cartouches dans le chargeur pour dériver sur la cartouche tombée dans la soupe qui enchante lassistance. Jeter un homme par la fenêtre tandis quon en soigne un second au même étage, tirer sur tout le monde y compris le médecin, tout est permis sur le fond pourvu quon ait la forme, le style pour le filmer.
Parti pour trembler dans un Macao fatal sous les rafales de balles, on finit le film en riant aux éclats et en comptant le coups Drôle de drame que ce dernier film de Johnny To, film haute couture du polar asiatique. Cet opus sadresse en premier lieu aux inconditionnels de Johnnie To ayant déjà vu ses précédents films, connaissant ses acteurs, la mémoire en éveil pour apprécier lévolution de son cinéma vers une veine nettement parodique. Cependant, pour le profane dont je suis, le film peut très bien sapprécier au premier degré avec la tentation daller piocher ensuite dans les premiers films du réalisateur pour comprendre sa démarche.
Après le très sérieux "Election" où le sujet des truands dans les triades chinoises a été porté à son apogée, "Exiled", relecture enrichie de "The Mission" en mille fois plus noir, violent, drôle et rythmé, est laboutissement dune uvre qui a eu le temps de la réflexion et sautorise la franche dérision. On avait déjà de façon embryonnaire humour et absurde des confrontations dans "The Mission". Un humour et une malice quon retrouve toujours à petite dose, car, malgré leur violence impitoyable, il y a souvent une dimension humaine dans les films de Johnnie To comme ces scènes de repas conviviales réunissants malfrats et victimes où il se plaît à filmer la préparation des plats, voire une histoire damour entre flics et voyous (la femme policier et le chef de bande dans "Breaking news"). La frontière entre lordre et le désordre, le bien et le mal, les flics et les voyous, est ténue, les lignes débordent, il existe des trêves où tous se réunissent en tant quêtres humains pour partager un dîner ou même se plaire, les gangsters de Johnnie To auraient pu être de lautre côté, question de destin
Aujourdhui, il semble que Johnny To soit arrivé à un niveau de recul suffisant pour se moquer à la fois de la maffia chinoise et de lui-même, de sa fascination obsessionnelle pour ce milieu, écornant au passage la figure du policier pleutre fuyant ses responsabilités. Car "Exiled" est une histoire de fuite, exil de Wo à Macao, cavale de la bande de tueurs, démission du policier attendant la quille. Fuite de Johnnie To dun cinéma qui se prend au sérieux, ou plutôt renoncement définitif à lidéalisation des combats entres bandes maffieuses avec un code dhonneur perdu depuis longtemps. Assumer son tropisme irrationnel pour les triades, indissociables du polar noir de Hong Kong, tout en les jugeant avec lucidité et dérision, est une démarche de la maturité. Au fond, on nest pas très loin de la quête de Tarentino dans "Death proof" : pain, amour (du film de genre) et parodie.
Dun point de vue pratique, le réalisateur Johnnie To, travailleur stakhanoviste et maître incontesté du polar de HK, réalise trois films par an quil mène quelquefois de front, mobilisant une équipe payée à lannée, ayant concocté pas moins de 40 films en 25 ans et la technique est à ce point rodée quil flotte un petit parfum dindustrie sur cet ouvrage ciselé comme un film dauteur. "Le Samourai" de Melville fut adapté par John Woo, lautre maître de Hong Kong, avec "The killer", pour un de ses prochains films, Johnnie To, lui, a engagé rien moins quAlain Delon
sortie du film en salles le 11 juillet 2007
Quelques films (les plus connus) de Johnnie To
"Running out of time" /1999
"The Mission" /1999**
"Full time killer" /2001
"PTU" /2004 (Cognac prix du jury)
"Breaking news" /2004 (Cannes compétition)
"Running karma" /2004
"Election 1 et 2" /2006
+ "Exiled" 2006 (sortie 11 juillet 2007)
+ "Triangle" 2007 (sortie 12 décembre 2007)*
Notes :
* Au dernier festival de Cannes, on assista en projection de nuit à un film hors compétition bien nommé "Triangle" (emblème de la triade**), une curiosité concoctée par pas moins de trois réalisateurs dont Johnnie To (Ringo Lam, et Tsui Hark), sorte de cadavre exquis ou chaque réalisateur prit le relais du précédent pour poursuivre le film.
** Depuis le début de sa carrière, Johnnie To et les triades forment un couple attraction-répulsion, et il na eu de cesse de traiter le sujet sous des angles différents dans nombre de ses films. Le mot triade désigne lemblème sacré des anciennes sociétés secrètes chinoises, un triangle avec les trois pouvoirs : le ciel, la terre et lhomme. En opposition à la dynastie mandchoue des Qing à la fin du XVIIe siècle, ses fondateurs auraient été des moines du monastère de Shaolin, où le kung-fu fut inventé, société patriote qui voulait restaurer lancienne dynastie Ming. Créées pour un noble combat politique, les triades vont émigrer à Hong Kong au début du siècle et voir petit à petit leur objectif initial dévoyé au profit dintérêts essentiellement maffieux, conservant pourtant leurs codes, leurs symboles, leurs signes de reconnaissance et leurs rituels secrets dorigine. Plus tard, le rattachement de Hong Kong à la Chine en 1997 modifie la donne et il ne faut pas omettre laspect critique des films de Johnnie To à légard du gouvernement chinois, où les triades représenteraient une forme de résistance démocratique, même maffieuse.