"EXILED" ("Exilé") de Johnnie To / Avant-Première

Publié le

Top! SORTIE MERCREDI 11 JUILLET 2007


Nick Cheung. ARP Sélection

Wo, tueur à gages retiré des affaires par la force des choses, s’est installé à Macao avec son épouse et son fils nouveau né. Mais sa tranquillité va être de courte durée : son ancien boss, Yam, qu’il a blessé avant son départ de Hong Kong, a envoyé deux tueurs pour l’exécuter. Deux autres tueurs sont également sur place pour convaincre leur collègues d’épargner Wo, leur compagnon à tous.

Le bois d’une porte, un poing cognant sur le bois de la porte, une jeune femme ouvrant peureusement, Wo est absent. On cogne à nouveau, même réponse. Dans la rue déserte d’un Macao colonial aux murs peints en vert fatigué, les quatre hommes confrontent leurs points de vue : faut-il tuer Wo comme l’a ordonné le chef des triades ou le laisser en vie, voire le protéger? Au même moment, le conducteur d’une camionnette bleue, chargée jusqu’au plafond de meubles et d’effets, tente de faire profil bas comme s’il n’avait pas remarqué les quatre hommes en bas de chez lui. Wo est de retour. Fusillade n°1, la première d’une longue série éclatant à peu près tous les quarts d’heure comme une confiserie promise aux spectateurs venus pour voir un film d’action. Un tiers s’en plaint, téléphonant à monsieur Yam qu’il se trouve coincé dans son véhicule sous les rafales de balles, jurant passer par là par hasard, il s’agit d’un policier frileux à 3 jours de la retraite… Le caïd, magnanime, fait cesser la tuerie, les quatre compères ramènent alors Wo chez lui. Première incursion de la comédie dans le polar avec le ballet des quatre hommes devenant des gens serviables, transportant les meubles, les installant, tapotant des coussins, épluchant des légumes, faisant la cuisine pour un dîner amical tous ensemble. On se souvient de la photo d’autrefois avec les cinq ados qu’on était, on en profite pour prendre une nouvelle photo de groupe avec l’épouse de Wo et le bébé…

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On s’attendait à un polar noir et violent, on a également pour le même prix une parodie de polar, une sorte de western asiatique où quatre Dalton plus un mettent la ville à feu et à sang. Une franche amoralité doublée d’une saine bêtise et d’un solide sens de l’amitié soudent les cinq compères (quatre plus ou moins un semant la discorde comme dans "The Mission", on y retrouve d’ailleurs les mêmes acteurs). On tire les fusillades à pile ou face. On rêve du prochain coup et de ce qu’on pourrait bien faire avec tout cet argent : acheter une armurerie pour l’un, un bordel pour l’autre, en deux mots, on ne serait pas loin de s’ennuyer…

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Pendant la première partie du film, l’équilibre entre polar et comédie est subtil. Ensuite, la tentation de la comédie est la plus forte bien qu’on en sorte de temps en temps. La fusillade au superlatif (gunfight) chez le toubib véreux en blouse verte opérant deux patients rivaux en même temps, qui se disputent la place et s’entre-tuent, tout en comptant la monnaie, est un grand moment ludique explosant de violence extrême et d’humour dévastateur. La scène deviendra certainement culte, elle est à couper le souffle! C’est ensuite que le film perd en crédibilité en multipliant les loufoqueries bien qu’on demeure dans du cinéma haut de gamme. Le film pesant son lingot de décibels avec des symphonies de coups de feu sur une musique de western italien, était peu bavard, il le devient, les hommes jacassent, on aurait préféré redistribuer cette logorhée tout le long du film. Mais, surtout, l’arrivée de l’épouse de Wo en Calamity Jane, fusil sous le bras, est un raté, ça ne passe pas.

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S’agissant de la photo, on est immergé dans le noir du décor du film noir, sublimes images en noir et ocre, ambiance inspirée des polars américains des années 50 avec une franche touche Melvillienne et une note résolument moderne. Le style Johnnie To est unique : calme avant la tempête, les tempêtes récurrentes, avec des scènes de violence très stylisées, presque chorégraphiées. On y voit des personnages hybrides entre les hommes aux longs manteaux cache poussière d’"Il était une fois dans l’ouest" et les guerriers sommeillant en chaque truand, qu’on voudrait d’honneur, se jeter à corps perdu dans des bagarres assassines mais harmonieuses. En amont, le réalisateur insiste sur les petits gestes très western avant la bagarre : la main dont un doigt tapote nerveusement la cendre de la cigarette, les cartouches dans le chargeur pour dériver sur la cartouche tombée dans la soupe qui enchante l’assistance. Jeter un homme par la fenêtre tandis qu’on en soigne un second au même étage, tirer sur tout le monde y compris le médecin, tout est permis sur le fond pourvu qu’on ait la forme, le style pour le filmer.

Parti pour trembler dans un Macao fatal sous les rafales de balles, on finit le film en riant aux éclats et en comptant le coups… Drôle de drame que ce dernier film de Johnny To, film haute couture du polar asiatique. Cet opus s’adresse en premier lieu aux inconditionnels de Johnnie To ayant déjà vu ses précédents films, connaissant ses acteurs, la mémoire en éveil pour apprécier l’évolution de son cinéma vers une veine nettement parodique. Cependant, pour le profane dont je suis, le film peut très bien s’apprécier au premier degré avec la tentation d’aller piocher ensuite dans les premiers films du réalisateur pour comprendre sa démarche.

Après le très sérieux "Election" où le sujet des truands dans les triades chinoises a été porté à son apogée, "Exiled", relecture enrichie de "The Mission" en mille fois plus noir, violent, drôle et rythmé, est l’aboutissement d’une œuvre qui a eu le temps de la réflexion et s’autorise la franche dérision. On avait déjà de façon embryonnaire humour et absurde des confrontations dans "The Mission". Un humour et une malice qu’on retrouve toujours à petite dose, car, malgré leur violence impitoyable, il y a souvent une dimension humaine dans les films de Johnnie To comme ces scènes de repas conviviales réunissants malfrats et victimes où il se plaît à filmer la préparation des plats, voire une histoire d’amour entre flics et voyous (la femme policier et le chef de bande dans "Breaking news"). La frontière entre l’ordre et le désordre, le bien et le mal, les flics et les voyous, est ténue, les lignes débordent, il existe des trêves où tous se réunissent en tant qu’êtres humains pour partager un dîner ou même se plaire, les gangsters de Johnnie To auraient pu être de l’autre côté, question de destin…

Aujourd’hui, il semble que Johnny To soit arrivé à un niveau de recul suffisant pour se moquer à la fois de la maffia chinoise et de lui-même, de sa fascination obsessionnelle pour ce milieu, écornant au passage la figure du policier pleutre fuyant ses responsabilités. Car "Exiled" est une histoire de fuite, exil de Wo à Macao, cavale de la bande de tueurs, démission du policier attendant la quille. Fuite de Johnnie To d’un cinéma qui se prend au sérieux, ou plutôt renoncement définitif à l’idéalisation des combats entres bandes maffieuses avec un code d’honneur perdu depuis longtemps. Assumer son tropisme irrationnel pour les triades, indissociables du polar noir de Hong Kong, tout en les jugeant avec lucidité et dérision, est une démarche de la maturité. Au fond, on n’est pas très loin de la quête de Tarentino dans "Death proof" : pain, amour (du film de genre) et parodie.

D’un point de vue pratique, le réalisateur Johnnie To, travailleur stakhanoviste et maître incontesté du polar de HK, réalise trois films par an qu’il mène quelquefois de front, mobilisant une équipe payée à l’année, ayant concocté pas moins de 40 films en 25 ans et la technique est à ce point rodée qu’il flotte un petit parfum d’industrie sur cet ouvrage ciselé comme un film d’auteur. "Le Samourai" de Melville fut adapté par John Woo, l’autre maître de Hong Kong, avec "The killer", pour un de ses prochains films, Johnnie To, lui, a engagé rien moins qu’Alain Delon…

sortie du film en salles le 11 juillet 2007

Quelques films (les plus connus) de Johnnie To

"Running out of time" /1999
"The Mission" /1999**
"Full time killer" /2001
"PTU" /2004 (Cognac prix du jury)
"Breaking news" /2004 (Cannes compétition)
"Running karma" /2004
"Election 1 et 2" /2006
+ "Exiled" 2006 (sortie 11 juillet 2007)
+ "Triangle" 2007 (sortie 12 décembre 2007)*

Notes :

* Au dernier festival de Cannes, on assista en projection de nuit à un film hors compétition bien nommé "Triangle" (emblème de la triade**), une curiosité concoctée par pas moins de trois réalisateurs dont Johnnie To (Ringo Lam, et Tsui Hark), sorte de cadavre exquis ou chaque réalisateur prit le relais du précédent pour poursuivre le film.

** Depuis le début de sa carrière, Johnnie To et les triades forment un couple attraction-répulsion, et il n’a eu de cesse de traiter le sujet sous des angles différents dans nombre de ses films. Le mot triade désigne l’emblème sacré des anciennes sociétés secrètes chinoises, un triangle avec les trois pouvoirs : le ciel, la terre et l’homme. En opposition à la dynastie mandchoue des Qing à la fin du XVIIe siècle, ses fondateurs auraient été des moines du monastère de Shaolin, où le kung-fu fut inventé, société patriote qui voulait restaurer l’ancienne dynastie Ming. Créées pour un noble combat politique, les triades vont émigrer à Hong Kong au début du siècle et voir petit à petit leur objectif initial dévoyé au profit d’intérêts essentiellement maffieux, conservant pourtant leurs codes, leurs symboles, leurs signes de reconnaissance et leurs rituels secrets d’origine. Plus tard, le rattachement de Hong Kong à la Chine en 1997 modifie la donne et il ne faut pas omettre l’aspect critique des films de Johnnie To à l’égard du gouvernement chinois, où les triades représenteraient une forme de résistance démocratique, même maffieuse.



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