"Le Scaphandre et le papillon" : le point de vue de l'artiste Schnabel

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Jean-Dominique Bauby, rédacteur en chef à "Elle", 43 ans, se réveille un matin de 1995 entièrement paralysé sauf d'une paupière. Cloué à un fauteuil roulant, soigné à l'institut maritime de Berck, ne voyant plus le monde que d'un oeil, il va l'employer pour écrire un livre... Un livre rédigé grâce à une technique élaborée par son orthophoniste où on lui présente un tableau avec des lettres de l’alphabet (il clignera une fois ou deux fois de la paupière pour valider une lettre), ce qui suppose qu'il ait préparé mentalement auparavant ses mots et ses phrases. Le livre paru en 1997 remporte un succès mondial, Steven Spielberg va en acheter les droits et confier la réalisation au peintre Julian Schnabel qui avait déjà réalisé "Basquiat" et "Avant la nuit". C'est Johnny Depp qui devait jouer le rôle mais la machine "Pirates des Caraïbes" ne lui en laissant pas le temps, Mathieu Almaric que Spielberg avait dirigé dans "Munich" attire alors l'attention du réalisateur.

Le récit est filmé en caméra subjective, du point de vue du malade : à JD Bauby, il ne reste que trois choses : son œil valide, son imagination et sa mémoire : c’est ce qui est montré à l’écran : son regard en vision monocculaire sur le monde avec un champ de vision rétréci, ses fantasmes et ses souvenirs. Des papillons pour échapper à se scaphandre comme il appelle son corps dans lequel il est à présent enfermé (images du scaphandre dans l’eau s’incorporant parfois au récit). Ce qui donne des images tronquées de ce que voit le malade : une tête ou deux ou trois têtes se penchant vers lui pour lui parler de manière à ce qu’il les voient. Pour ces dialogues, si l’on peut dire, car JD Bauby ne peut pas répondre, les actrices ont tourné les scènes seules face à la caméra, Mathieu Almaric se trouvant dans une pièce contigüe avec Schnabel pour donner la réplique. Schnabel pousse loin la perception du monde par JD Bauby : quand il se réveille à l’hôpital, les image son floues, quand il cligne de l’œil, l’écran s’éteint, se rallume, au début du film, on craint de ne pas suivre mais ça ne dure pas. La voix off de Mathieu Almaric raconte ce point de vue de Bauby muet, des phrases tirées de son livre.

Le film n’est pas exempt d’humour, on reprend inlassablement le point de vue du malade qui entend à chaque visite le personnel soignant répéter qu’il faut se tenir à telle distance pour lui parler, on imagine son exaspération. Car Bauby possède le sens de l’humour et de la dérision : quand la jolie physiothérapeute fait des mouvements de langue pour lui expliquer la rééducation, il fantasme sur elle en maugréant «c’est bien ma chance!». Les jolies femmes se succèdent à son chevet : son ex-épouse (Emmanuelle Seignier), l’orthophoniste (MJ Croze), l’assistante de la maison d’édition (Anne Consigny), la physiothérapeute (Agathe de la Fontaine?). Mais toutes ne le considèrent plus comme un homme laissant le vent soulever leurs robes légères sous son nez, plongées dans la compassion. Le personnel médical a une bonne volonté à toute épreuve, on reconnaît bien le langage codé du neurologue, par exemple, se forçant à trouver quelques points positifs pour l’encourager.

On est souvent entre l’humour et l’émotion, cette visite de Niels Arestrup est à la fois très drôle et touchante : voilà un homme à qui JDBauby avait cédé sa place dans un avion autrefois pour lui rendre service et qui, ironie du sort, s’est retrouvé pris en otage pendant des années… Cet homme, loin de lui en vouloir, alors que Bauby se sent toujours coupable de l’avoir ignoré à son retour de captivité à Paris, vient lui apporter des conseils pour tenir le coup, l’enfermement, il connaît… Humour aussi avec le souvenir d’un séjour à Lourdes où il avait été odieux avec sa maîtresse (Marina Hands) et où il se voit à présent menacé de retourner par la foi de la thérapeute dévote qui feint d’ignorer qu’il ne veut pas y aller. La visite des employés de France Telecom ne comprenant pas pourquoi il faut installer un téléphone à un muet, celle du copain gaffeur, on tire parti de tout le comique des situations au lieu de s’apitoyer. La psychologie des personnages est fine : l’épouse trompée acceptera de laisser son mati invalide écouter au téléphone sa dernière maîtresse (Emma de Caunes) dont il est amoureux, on sent bien à quel point elle ne l’aurait jamais fait si il n’était pas dans cet état et qu’en même temps, elle n’a pas renoncé à être jalouse par réflexe.

Le début du film est dur comme l'arrivée de Bauby à l'hôpital : Schnabel nous plonge immédiatement dans la tête de Bauby, le générique est composé de radiographies sépia avec les noms écrits comme avec des tampons encreurs. On ressent la terreur de Bauby, son horreur de se réveiller paralysé, ne sachant pas où il se trouve, tentant en vain de communiquer. Puis, le film évolue comme le malade prend ses repères, s’habitue en quelque sorte à son nouvel environnement, incroyable capacité d’adaptation de l’être humain en terrain hostile.

Mathieu Almaric l’a dit dans une interview, ce qui l’a aidé, c’est que JD Bauby n’était pas un saint : mauvais mari, amant volage, ami inconstant, il évolue dans le monde speed et blasé, paillettes et top models, du magazine "Elle" et des studios de pose des mannequins anorexiques où il ne profite de rien, à peine de sa nouvelle voiture de sport. Immobilisé pour toujours, il se rend compte de «la somme de ratages» qu’a été son existence. Ce drame va révéler en lui le meilleur : le courage et la volonté de s’en sortir, la relecture des souvenirs des jours heureux dont il n’avait pas conscience, il va écrire un livre.
Mathieu Almaric ne souhaitait pas avoir le prix d’interprétation à Cannes car cela aurait voulu dire qu’il jouait alors qu’il voulait être le plus naturel possible. Il est génialissime dans cette composition pleine de tact et de nuances, sa voix off est superbe, on dirait que Spielberg lui réussit (dans «Munich», il était tellement mieux que dans les Desplechin…) Schnabel a dit en recevant le prix de la mise en scène qu’il avait cru faire un film sur un homme et qu’il se rendait compte qu’il avait fait un film sur des femmes, en témoigne le nombre d’actrices l’accompagnant sur les marches à Cannes.

Jean-Dominique Bauby est mort peu après la publication de son livre. J’ai entendu une interview d’un médecin disant qu’il avait été atteint d'une maladie neurologique très rare, et qu’autrefois, sans les progrès de la médecine pour le maintenir en vie quelques temps, il serait mort sur le coup. Projeté en présence de sa famille à Cannes, le film a bouleversé le festival, c’est un film à vocation grand public, pas un film d’auteur, mais aura-t-il le public qu’il mérite compte tenu de la dureté du sujet? Pour l’avoir vu à Paris, nous n’étions qu’une demi-douzaine de spectateurs dans la salle… Il faut oser, c’est un vrai beau film qu’il s’agisse de la mise en scène, des images, de l’interprétation, de la leçon de vie, seul un artiste comme Schnabel pouvait se placer du point de vue de l’imaginaire pour adapter ce livre apparemment inadaptable.


Julian Schnabel et ses actrices le soir de la cérémonie de clôture du festival de Cannes : il va obtenir le prix de la mise en scène (photo L'Oréal Cannes)




Publié dans Cannes2007compétition

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V
J’aime beaucoup ton article, je le trouve très bien écrit et structuré cela change car on a pas souvent l’occasion de voir ce genre d’article.
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A
URGENT URGENT URGENT URGENT URGENTSaint-Quentin en Picardie <br /> <br /> Pour exprimer leur colére , ils ont sorti leur banderole . Les parents de Ludivine, 9 ans , handicapée , se battent pour leur fille ait un fauteuil roulant adapté à son lourd handicap ..<br /> <br /> Rue Jacques Lescot à Saint-Quentin.La maison de Ludivine 9 ans .Sur la facade flotte au vent du printemps , depuis hier , une banderole blanche , celle d'un combat . Et cette histoire en resterais la !Mais le probléme est que ce papa a du cesser son travail suite au handicap de sa fille . > En 2002 , cette famille Saint-Quentinoise est frappée par l'annonce de la maladie de Ludivine .Elle est atteinte d'une maladie mystérieuse sous forme visuel de micros abcés au cerveau et insuffisance de défences immunitaire .Conséquence , aujourd'hui , elle est totalement paralysée des menbres et ne parle plus suite à suite trés grave rechute brutale en avril 2007.<br /> <br /> C'était une bonne vivante , elle marchait , courait , adorait jouer au foot , faire de la moto , aller à la péche etc... raconte la maman en lui essuyant le visage .Une écharpe d'une équipe de L'OM installée au-dessus du lit médicalisé de Ludivine en atteste .Désomais , Ludivine qui voulait étre une écoliére comme tout le monde , ne communique uniquement par clin d'oeil ou rale . C'EST UN COUP TRES DUR !!! poursuit sa mére .Ce qu'elle n'accepte pas aujourd'hui est que l'on lui refuse un fauteuil roulant CONFORT adapté vraiment à son handicap .La maison départementale des personnes handicapées nous le refuse !!!Ils nous proposent un fauteuil simple avec coque , mais j'en veux pas de ce fauteuil répond la maman .Il n'est pas adapté à ma fille poursuit le pére .<br /> <br /> Un refus catégorique nourri par l'incompréhension totale .
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A
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